En quelques mots...


Je me souviens encore très bien de ce jour pluvieux d’octobre 2006 quand on s’est rencontré. Tu es venu vers moi et m’as fait comprendre que tu avais besoin d’aide, tu avais faim, peut-être froid, tu étais trempée.

Je n’ai pu ignorer tes miaulements de demande d’aide alors je t’ai pris dans mes bras.

Je ne pouvais pas juste passer mon chemin. Je t’ai amené dans ma maison. Je savais qu’il y aurait un peu de résistance de la part de Camille, mais je ne concevais pas encore que tu resterais avec nous toute ta vie.

Peut-être avais-tu déjà un foyer et tu étais simplement égarée?

Un peu de chaleur et de confort, de la nourriture, une litière, un espace sécuritaire... Dès la première nuit, tu semblais m’avoir déjà adoptée, venant me piétiner le ventre dans mon lit.

Manouche première photo

J’ai pris la première photo de toi et, même si tu as fait l’objet de bien des clichés au fils des ans, c’est encore l’une des plus belles. J’ai imprimé des flyers avec cette photo, la phrase “Nous avons trouvé cette gentille petite chatte, vous la connaissez?” avec nos numéros de téléphone.  J’ai tapissé le quartier.

Si tu avais une maison, j’allais la trouver et te permettre d’y retourner saine et sauve.

Un jour, deux jours, trois jours…aucun appel. Il semblerait que tu sois seule dans la vie. Au bout d’une semaine, on t’a donné un nom. Tu te nommerais désormais Manouche.

Puisque tu n’étais plus un chaton, il y a toujours eu une part de mystère entourant ta vie avant notre rencontre.  Comment étais-tu arrivé là ? Qui était ta mère, une chatte de ruelle ou de maison ? Dans quelle circonstance étais-tu venue au monde ? Avais-tu des frères et soeurs dans le quartier? J’ai toujours cru que ta nature indépendante était le résultat d’une enfance plus sauvage, avec peu de contact humain.

Tu m’as vite fait comprendre que tu étais une chatte libre. Pas question pour toi de regarder la vie à travers une fenêtre, tu devais explorer, te promener à ta guise.

À peine étais-tu arrivé dans ma vie que déjà je supportais mal l’idée que tu ne sois pas en sécurité dans la maison pour la nuit.  Si tu n’étais pas revenue le soir, je partais à ta recherche.  Combien de fois ai-je arpenté les rues et ruelles du quartier pour te retrouver? Je ne saurais dire exactement, mais souvent.

Très vite, j’ai tenté une stratégie. J’allais utiliser le tintement de mes clés pour te signaler que c’était le temps de venir.  Le jambon s’est vite imposé comme la friandise que tu adorais.  Donc entrainement, tintement de clé et bouchée de jambon.  Cela à bien fonctionné pendant quelques années.  Au fil des ans, tu as acquis la capacité de reconnaitre ma voix quand je t’appelais par ton nom et le tintement de clés, faute de renforcement, tomba en désuétude.

Manouche elegante

Quelques fois, je n’ai pu te trouver malgré mes efforts. J’ai commencé à croire que tu avais peut-être un autre endroit où crécher. Je ne me souviens pas exactement comment j’ai découvert que tu squattais parfois chez un gars qui habitait sur la rue Bellechasse, au coin de la ruelle, ma nature inquisitive y est surement pour quelque chose.

L’idée de faire une garde partagée ne me plaisait guère, mais nous n’étions pas encore très attachés l’un à l’autre. De toute façon, comment allais-je faire pour t’empêcher d’aller où bon te semblait ?  

Au fils des semaines, tu passais de plus en plus de temps chez moi.  Une décision s’imposait. En citoyen responsable, il fallait envisager de te faire stériliser pour ne pas contribuer au problème de chat errant dans la ville.

Manouche Oh no!

J’ai trouvé un vétérinaire qui semblait compétent et je t’ai amener chez lui pour l’opération.  Ton premier contact avec le système de santé animalier. Ton séjour fut court. Tout sembla s’être bien passé.  Par contre, une fois de retour à la maison, j’ai constaté une drôle de bosse sur ton ventre. Bosse qui est restée présente durant toute ta vie.  Le chirurgien ne s’était pas appliqué lors de la fermeture de la plaie et tes muscles abdominaux ont formé une bosse asymétrique en guérissant.  J’étais un peu mécontent du manque de talent de ce chirurgien venu gâcher ta perfection.

Après cette intervention, je n’étais plus prêt à accepter de te partager. Un soir que je n’arrivais pas à te retrouver, je suis allé cogner à la porte du gars sur Bellechasse et je t’ai retrouvé dans son salon.  Je lui ai fait comprendre que tu étais dorénavant mon chat et qu’il ferait mieux de s’abstenir de t’emprisonner chez lui la nuit.

Cela dit, il n’était pas un méchant type. Quiconque ouvre sa porte à un animal ne peut être complètement mauvais. Ce fut la dernière fois que j’ai eu à intervenir avec lui. Par la suite, tu rentrais à la maison tous les soirs, quoique parfois après quelques recherches.


Manouche don't bother me

Rapidement, nous nous sommes développé notre routine, nos rituels. Chaque fois que j’arrivais à la maison, tu venais m’accueillir.   Parfois, j’avais l’impression que tu étais déjà à côté de la porte à m’attendre. À d’autres moments, tu arrivais à la course pour venir me miauler la bienvenue.

Je n’ai jamais trop compris comment cela s’était installé, mais tu as développé une fixation à te faire tapoter la croupe seulement sur le tapis de douche de la salle de bain.  Invariablement, si j’y étais,  tu t’empressais de m’y rejoindre, parfois à la course, pour avoir droit à une séance de tapotage, te roulant de plaisir pendant de longs moments. Souvent, les caresses se transformaient en jeux plus agressifs, ton ventre étant hors limite dans ce contexte, un genre de piège que tu me tendais et que si j’avais le malheur d’y tomber tu allais me le faire payer cher en m’agrippant la main toutes griffes dehors.  Une fois comblée, tu signifiais la fin de l’activité avec ton départ sans autre cérémonie.

Tu avais aussi l’habitude de venir te coucher avec moi pour la nuit seulement si j’étais seul, quand par exemple Camille s’était endormi sur le divan.  Tu venais voir, si la place étais libre tu t’installais à mes pieds, ou parfois près de ma tête, me signifiant ainsi ton envie de te faire gratter le ventre avant de prendre ta place définitive pour la nuit. Par contre, si Camille était couchée avec moi, tu rebroussais chemin pour te trouver un autre endroit. Ce n’est pas par manque de place, notre lit est grand.  Était-ce ta façon à toi de veiller moi, de t’assurer que je ne sois pas seul ? Voyais-tu Camille comme une rivale et tu ne voulais pas avoir à me partager? Cela restera un autre mystère.

Clairement, nous avions un lien privilégié, j’étais le seul sur qui tu venais t’installer lorsque tu voulais affection, chaleur et confort. Le seul avec qui tu étais assez à l’aise pour t’afficher vulnérable en me montrant ton ventre pour le faire gratter. Même si Camille te démontrait aussi beaucoup de bienveillance, tu m’as réservé le rôle d’être “ton” humain. 

Manouche tête du lit
Manouche au pied du lit

Au fil des ans, tu as eu quelques amis chats. Bon, peut-être que le mot “amis” est un peu fort, disons qu’il y eut quelques chats dont tu tolérais la présence.  Il y a eu Bruce, le chat de mon frère avec qui on échangeait des services de garde quand l’un ou l’autre devait s’absenter pour quelque temps.  Il y a aussi eu Pouilleux, qui était notre voisin.  Nous avions fait un tunnel sous la clôture expressément pour que vous pussiez vous rendre visite facilement.  Il y a en eut d’autres que tu connaissais de vue, car notre jardin d’eau était un point de rencontre pour bien des créatures du voisinage.  Mais tu restais en retrait, les surveillant de loin.

À quelques reprises, tu laissais cours à tes instincts de prédatrice et profitais de l’attrait du bassin d’eau pour les moineaux. Tu te tapissais alors sous un bosquet,  prête à bondir sur le premier qui aurait le malheur de baisser sa garde. 

Tu as aussi rempli tes fonctions de chat dans la maison lorsqu’on a eu des épisodes de souris. En fait, tu as été la première à déceler leur présence. C’est en te voyant bien concentrée à regarder le dessous des armoires de cuisine que j’ai été alerté que nous avions des intrus. 

Tu devrais pas trop comprendre, et même être frustrée, quand je t’enlevais ton butin, j’ai ainsi épargné la vie de plusieurs rongeurs et volatiles.

Mais le summum de tes trophées de chasse fut sans aucun doute la perruche que tu as réussi à attraper et à rapporter à la maison.  Es-tu rentré la chercher chez quelqu’un ou est-ce elle qui s’était évadée? Je n'ai jamais compris comment tu avais réussi a mettre la patte sur cette petite perruche verte. Je lui ai rendu sa liberté, non sans quelques difficultés, car à l’instar des moineaux, elle ne me voyait pas du tout comme un sauveur et m’attaqua férocement.

Manouche et Ariane
Manouche Chasse
Manouche et Bruce

Manouche paw
Manouche dent

Et comme ça, peu à peu, les années passèrent. Les hivers, tu préférais l’intérieur chaleureux de la maison, mais aussitôt le beau temps revenu, tu redevenais maitresse du jardin. Bien installée sur une chaise, tu gardais un oeil attentif sur ton domaine. Tu semblais moins encline à vouloir en sortir. Peut-être ayant déjà bien exploré les alentours, étais-tu satisfaite que la vie était bien douce ici. Au fil des ans, tu accumulas quelques kilos, et un drôle de problème oculaire qui formait des cicatrices le long de ton museau en te donnant une allure de guerrière, mais somme toute, tu semblais bien heureuse.

Tu as vécu ta vie sans trop de soucis de santé.  Outre ta stérilisation, la seule autre occasion où tu as eu de séjourner à l’hôpital des animaux fut pour régler un problème dentaire. Ta canine de droite devait partir car il y avait infection. Évidemment, après le cafouillage du premier, je t’ai trouvé une meilleure clinique, rue Beaubien, pas très loin de la maison.

Tu avais une drôle d’allure par la suite, avec ta petite dent restante dépassant de ta gueule. Pour le reste, des visites de contrôle pour pouvoir obtenir un traitement contre les puces, car pour en avoir fait l’expérience, tu détestais ces bibittes, et Camille et moi étions du même avis.  


Vers la fin de l’année 2020, tu semblais être en voie de retrouver ta taille svelte de jeune chatte.  Mais je savais bien que tes années de jeunesse était bien loin derrière, cette perte de poids m’indiquait plutôt que tu entrais dans la phase “petite veille” de ta vie.  Fallait s’y attendre, tu avais presque 15 ans.

Tu as aussi retrouvé une ancienne habitude. Toi qui, depuis quelques années, avais limité ton rayon d’action  à notre cours et quelques autres cours avoisinantes, tu semblais avoir repris le goût d’explorer. J’ai dû te chercher de plus en plus souvent, et tu étais de plus en plus loin, non plus juste dans notre ruelle, mais dans des ruelles voisines. J’étais devant un problème, ça ne me prenait pas mal de temps à parcourir des distances  grandissantes pour te retrouver le soir. Et parfois, j’allais chercher partout pour finalement que tu décides simplement de sortir de sous les bosquets du voisin lors de mon retour.

Aux grands maux, les grandes solutions technologiques! Je me suis procuré des localisateurs AirTag et j’en ai installé un sur ton collier. Je devais encore partir à ta recherche assez régulièrement. Mais muni de mon iPhone, je pouvais plus facilement connaitre l’endroit ou concentrer mes recherches.

Je m’expliquais difficilement ce changement de ton comportement. Était-ce le fait d’avoir des kilos en moins qui te redonnait l’énergie requise pour ces randonnées pédestres exigeantes? Te sentais-tu à l’automne de ta vie avec un désir pressant de cocher “Aller voir ailleurs” de ton bucket list? Ou est-ce que, comme d’autres m’ont suggérée, tes facultés cognitives étaient en déclin et tu ne retrouvais plus le chemin du retour?

La réponse la plus probable me fut donnée suite à un rendez-vous chez le vétérinaire au courant de l’été 2021. Concerné par une aussi grande perte de poids, un bilan sanguin fut effectué et le verdict tomba. Tu souffrais d’hyperthyroïdie, malaise qui a comme conséquence, entre autres, une augmentation de ton métabolisme et une hyperactivité.

Bon, ce n’était pas idéal, mais la solution était assez simple, petite pilule matin et soir. Jusque là, je n’étais pas trop inquiet. Cela semble être assez fréquent chez les chats de ton âge et le pronostic de bien vivre avec cette contrainte semblait bon. C’est aussi venu avec une indication d’être plus restrictif avec ton alimentation. Il fallait te donner une nourriture adaptée et moins de tout ce que tu aimes. Ça,ça ne serait pas facile.

Une visite de contrôle allait chambouler la donne. Tu souffrais aussi d’insuffisance rénale au stade trois. Il n’y a que quatre stades à cette maladie.

Les options étaient limitées, la progression typique allait conduire à ce que tes reins ne fonctionnent plus assez pour te maintenir en vie.  Quelques avenues ont été proposées, incluant contrôles fréquents, hospitalisation pour te réhydrater au besoin, injections à la maison et tutti quanti. Rien qui allait te plaire.

J’ai pris la décision, pour le temps qu’il te reste - tu profiteras de la vie avec le plus de confort et libre de désagréments - plus de visite au vétérinaire, de prise de sang, pas d’acharnement de traitement, je ne t’imposerais pas d’être hospitalisé pendant des jours pour étirer un tant soit peu ta vie. Et le moment venu, je t’offrirais une fin paisible, dans le confort du foyer où tu étais bien, entourée de Camille et moi avec le moins de souffrance et de stress possible.

Mais d’ici là, j’allais profiter de ta présence, et te faire profiter de la mienne, au meilleur de mes capacités.

Notre nouvelle activité, des promenades nocturnes ensemble.  Pratiquement tous les soirs, nous sommes partis à deux arpenter la ruelle.  Tu me suivais jusqu’au bout, avec de multiples détours dans les cours arrière où tu pouvais te faufiler, et j’attendais patiemment ta sortie avant de rependre la marche.  Une fois au bout, j’entamais le retour, et toi aussi, avec autant de détours pour satisfaire ta curiosité. J’ai aussi servi en tant que ton garde du corps m’imposant entre toi et les autres chats trop entreprenants dont tu n’avais nul désir de faire la connaissance. Et, quelques fois, j’ai dû te protéger de raton laveur et de moufette, ce qui vient avec un niveau de risque plus élevé pour ma propre sécurité.

Même l’hiver installer, nous avons continué de faire nos promenades dans la neige. Elles étaient plus courtes, moins fréquentes et le plus souvent de jour, mais aussi agréables.  Notre dernière fut le 31 décembre 2021.

J’ai adoré ces moments avec toi, j’ai ressenti une connexion à ta vie de chat en t’observant cartographier le profil olfactif de notre ruelle.  Et, si je me fie à ta réaction quand tu comprenais que l’heure de la promenade était arrivée en me voyant venir te rejoindre dans la cour, j’ai la conviction que tu as aussi adoré me faire connaitre les dessous de ta ruelle.

Manouche ruelle
Manouche Calin

Mes actions pour maximiser ton bonheur ne se sont pas limitées à nos promenades.  Je t’ai fourni, à volonté, toute la nourriture qui te plaisait le plus.  Je t’ai accueilli dans le creux de mon bras pour te gratter le ventre autant que tu voulais.  J’ai répondu à toutes tes demandes de tapotage sur le tapis de la salle de bain . Je me suis assuré qu’il n’y avait jamais de porte fermée entre nous dans la maison. J’ai même parfois privilégié dormir à l’écart de Camille pour te permettre de venir t’installer près de moi pour la nuit.

Et, un geste symbolique, mais qui n’avait sans doute nul intérêt pour toi, je me suis fait tatouer ton visage sur le bras. Je te porterais dans ma chair pour le reste de ma vie.

Manouche Tattoo

Tout semblait bien aller, oui tu passais plus de temps a dormir, mais ton appétit était bon, et ton comportement était normal, tu vaquais à tes occupations normalement. Certes, il y avait tes haut-le-coeur de plus en plus fréquents, mais autrement tu allais bien. Et puis, un soir, tu as refusé de gouter à une de tes gâteries  préférées. Rien de la journée ne m’avait indiqué que ton état s’était dégradé à ce point.

Le lendemain, même chose. Tu ne semblais aucunement intéressé par la nourriture que je t’offrais. Je savais que c’était de mauvais augure.  Avec quand même l’espérance que cela ne soit que passager, j’ai repris contact avec Véronique, la vétérinaire avec laquelle jadis j’avais discuté pour prévoir ta fin en douceur à la maison.

Après 48 heures sans amélioration, la décision fut prise. Je n’allais pas faillir à ma promesse et étirer tes souffrances, même si cette décision me bouleversait.

J’ai passé la dernière nuit à te veiller, bien installer sur le divan du salon. Je n’ai pas lésiné sur les moyens de te rendre confortable. Couverte, coussin, couverture chauffante... et moi. À quelques reprises, tu es venu te coller et je t’ai réconfortée en te flattant et chuchotant, pour ne pas réveiller Camille.

Manouche sur tapis rouge

Ta dernière matinée, tu l’as passée avec moi dans mon bureau. À plusieurs reprises, je me suis couché à tes côtés, sans te toucher, juste pour te voir et que tu me vois. Tu n’étais pas bien, te faire prendre t’étais devenu assez désagréable pour que tu me le fasses savoir sans ambigüité..

Tu es sorti pour la dernière fois sur le coup de midi, sans grand enthousiasme.  Par la suite, tu t’es installé sur le divan, que j’avais préparé avec ton tapis. Tes pattes ne toucheraient dorénavant jamais plus le sol.

Manouche-Illustration

Véronique est arrivée, avec un peu d’avance sur l'heure prévue - j'avoue que j’aurais préféré un retard. Tu ne l’as pas connu très longtemps, et pas dans les meilleures circonstances, mais je crois que tu l’aurais aimé. Douce, attentionnée et compétente, elle t’a permis de partir paisiblement.

Voilà, c’est déjà la fin de ton histoire. Reste l’ultime étape de te trouver un endroit digne de recevoir tes cendres, tout ce qu’il reste de ton corps. Il y a plus, bien sûr, les souvenirs de ces 183 mois que nous avons vécus ensemble, une vie que j’ai tenté de résumer avec ces quelques mots.

Manouche-Illustration
2006 - 2022/01/12 13:30